Imaginer, connaître, exploiter, de l'Antiquité à 1600
30 mai-3 juin 2017 Cerisy-la-Salle (France)
De Cetus à Jasconius, le discours chrétien de la baleine en Europe du Nord-Ouest, entre le VIIIe et le XIIIe siècle
Barbara Auger  1@  
1 : Centre de Recherche sur l'Imaginaire  (CRI)
Université Stendhal - Grenoble III : EA610
CRI Université Stendhal Grenoble 3 UFR des Lettres et arts BP 25 38040 Grenoble cedex 9 -  France

Il s'agit par cette communication de s'intéresser à la manière dont le christianisme a utilisé l'imaginaire de la baleine pour alimenter son discours spirituel. Le point de départ de l'étude repose sur une série d'iconographies issues de manuscrits médiévaux produits dans les espaces culturels carolingien, ottonien, anglo-saxon et anglo-normand, soit sur la période VIIIe-XIIIe siècle des cultures bordant la mer du Nord et la Manche. A partir de ces images visuelles, sera proposée l'analyse de la forme attribuée à cet animal, de son origine antique à son remploi médiéval. Ces représentations visuelles seront ensuite confrontées aux imaginaires faisant appel à la baleine, en particulier les peregrinatio afin d'en restaurer la rhétorique archétypale.

En copiant les traités astronomiques antiques, les moines de la période carolingienne transposent un esthétisme préchrétien dans un imaginaire médiéval fondé sur le Mystère. La constellation de la baleine représentée avec une queue torsadée côtoie celle de l'Argos, groupe d'étoiles formant navire dans un espace céleste désigné comme la mer. Dans l'imaginaire chrétien archétypal tel que l'analyse Henri de Lubac (Exégèse médiévale : les quatre sens de l'Écriture), la baleine renvoie à celle de Jonas, et le navire celui de Noé. Navire et baleine relèvent du même archétype, celui du contenant, et de la même dynamique, celle de l'engloutissement.

La queue torsadée de l'animal marin est utilisée dès la période carolingienne comme un signe démoniaque avant-coureur de catastrophe. La queue de Cetus se retrouve, dans les miniatures médiévales, sur le Léviathan mais aussi sur les bateaux que la volonté de Dieu fait chavirer. La présence du monstre marin relève toujours de cette volonté divine. Jonas ressort du ventre de la baleine avec une foi restaurée ; Noé par son Arche restaure le lien entre Dieu et les hommes. Si le corps du monstre marin arbore un signe démonique, ce qui se joue en son sein n'est autre que la Révélation divine. C'est bien l'enjeu du voyage de saint Brendan : accueillir la parole divine. La présence de Jasconius permet de mettre en scène l'ineffable et l'invisible.

Si le discours chrétien archétypal tend vers l'universalité, l'étude iconographique révèle cependant des singularités culturelles dans les productions insulaires anglo-saxonnes et anglo-normandes. Le rapport perceptuel aux mers nord-européennes est donc ici à prendre en compte. Plus qu'une rhétorique visuelle, l'image (visuelle et mentale) de la baleine chrétienne insulaire témoigne d'un imaginaire non plus abstrait et intellectualisé mais lesté d'un apport phénoménologique que l'exégèse médiévale a remployé. Il s'agira donc dans cette communication d'appréhender l'archétype de la baleine mais surtout de mettre en évidence la singularité de ses manifestations nord-européennes.



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